Lili et Nadia Boulanger : deux sœurs de légende

« Il y a des noms qui échappent au cyclone de l’indifférence, à l’ogre de l’actualité : le nom de Nadia Boulanger en est le type car il se place à un point de noblesse qui le rend invisible au médiocre » Jean Cocteau en 1957

Tout a été dit sur la personnalité, la rigueur, et l’exigence de celle qui fut pendant près de soixante-quinze ans le professeur de musique le plus célèbre du monde.

Nadia Boulanger

Nadia Boulanger naquit à Paris le 16 septembre 1887, d’une mère russe mélomane, et d’un père, prix de Rome à 19 ans, professeur au conservatoire de Paris, compositeur, ami de Gounod, Massenet, Saint-Saëns.

La jeune Nadia Boulanger, qui entend des notes et pense en notes, peut-être parce qu’elle savait les lire avant de connaître les lettres de l’alphabet, entre à neuf ans au conservatoire, pour en sortir à seize, après avoir été l’élève de Louis Vierne et de Gabriel Fauré, munie des premiers prix d’orgue, d’accompagnement au piano, de fugue et de composition.

Un des plus grand pianiste de son temps, Raoul Pugno, ami et voisin de la famille Boulanger à Gargenville (dont il sera maire de 1904 à 1908), la prend sous sa protection et lui envoie ses premiers élèves américains ; prémices de la « Boulangerie » et des « Étés d’Hanneucourt » où bien plus tard, entre 1924 et 1937, les musiciens du monde entier, viendront suivre les cours d’analyse de « Mademoiselle » à Gargenville.

Lili Boulanger

Sa sœur Lili, de six ans sa cadette, d’une sensibilité aiguë, manifeste elle aussi très tôt des dons exceptionnels : « Dès sa petite enfance la musique l’habite, écrira Nadia. A deux ans et demi elle chante ; à six ans elle déchiffre à longueur de journée. Gabriel Fauré vient souvent lui faire lire ses mélodies et s’émerveille des dons de l’enfant. Jusqu’à sa seizième année, elle se promène à travers la musique, fait tantôt un peu d’harmonie, tantôt improvise, note des thèmes, esquisse des œuvres, travaille le violon, le piano, le violoncelle, sans se décider à rien ».
Nadia, à la manière d’un grand frère, lui enseigne l’harmonie et le contrepoint. Lili de santé fragile, gravement gaie, travaille avec une volonté irréductible, et compose bientôt avec génie, à Gargenville dans « ses » Maisonnettes qu’elle aime tant.
Elle étudie au Conservatoire avec Paul Vidal, ancien ami de Claude Debussy et de Franz Liszt, et remporte à 19 ans, avec sa cantate "Faust et Hélène", le premier grand prix de Rome de composition musicale, décerné pour la première fois à une femme.
Cette précocité fulgurante, marquée par la maladie qui devait l’emporter, s’achève le 15 mars 1918, par un chef-d’œuvre ultime, Pie Jesu, dicté sur son lit de mort à Nadia, qui désormais entretiendra avec une fidélité « sacrée », sa mémoire et son œuvre.

Au début des années vingt, Nadia Boulanger s’affirme dans sa vraie vocation : l’enseignement. C’est à l’École américaine de musique de Fontainebleau, qu’elle dirigera jusqu’à sa mort, que Mademoiselle va révolutionner l’enseignement de l’harmonie, dont elle s’est vue confier la classe, en transformant ses cours en "cours d’analyse musicale".

Son aura est sans faille, « religieusement » avec une intransigeance mêlée d’un inflexible respect, elle éveille la curiosité de ses élèves.
Ainsi, celle qui fut l’inspiratrice de la musique contemporaine mondiale et particulièrement américaine, qui ressuscita les madrigaux de Monteverdi, qui créa le Requiem de Fauré à Londres et aux États-Unis, et qui fut la première femme à diriger l’orchestre de Boston et de New-York, aura formé les plus grands musiciens de son temps de Igor Markévitch à Jean Françaix, de Aaron Copland à Quincy Jones, de Léonard Bernstein à Michel Legrand

En 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing la fait grand officier de la Légion d’honneur.

Ses intimes, le Prince Rainier et la Princesse Grâce de Monaco, les ambassadeurs des États-Unis et de Grande-Bretagne, toutes les personnalités du monde musical l’accompagnèrent à sa dernière demeure le 26 octobre 1979.